À l’occasion de son premier défilé parisien, Jérôme Blin revient sur son parcours atypique. Entre la Bretagne, où tout a commencé, et les podiums internationaux, le créateur partage l’histoire d’une passion longtemps contenue et aujourd’hui pleinement assumée.
C’est votre premier défilé à Paris. Comment tout a commencé pour vous ?
Jérôme Blin : La couture a toujours été là. Ma mère était couturière. Enfant, je voulais apprendre, mais on me répétait que ce n’était « pas pour les garçons ». J’ai alors suivi d’autres voies, étudié l’histoire de l’art et les arts plastiques. Cette formation a aiguisé mon regard, m’a donné une culture générale qui me sert encore. Puis, un peu par hasard, je suis devenu fleuriste.
À Dinan, où j’avais ouvert ma boutique, je décorais la vitrine avec des créations inspirées de la vie de la ville. En utilisant de la colle chaude, je me suis amusé à créer des motifs proches de la dentelle. C’était décoratif, rien de plus. Mais l’organisateur d’un festival de créateurs est passé devant la vitrine, a vu mes prototypes et m’a proposé de les exposer. Le président du jury, Paco Rabban, a eu un mot qui a changé ma vie : « Vous avez votre place dans la mode ». J’ai encore des frissons en y repensant.
Qu’avez-vous ressenti à ce moment-là ?
Jérôme Blin : C’était une révélation. Une frustration d’enfant se transformait en appel. L’année suivante, on m’a encouragé à présenter une collection complète sur podium. J’avais 25 ans. C’était le début de l’aventure.

Vous avez ensuite installé un atelier à Montpellier…
Jérôme Blin : Oui. J’y ai travaillé près de huit ans, surtout sur des pièces sur-mesure pour mariages. Mais les budgets restaient limités et je devais beaucoup justifier ma démarche. À Paris, j’ai découvert un autre regard sur mon travail : une compréhension immédiate de la couture artisanale, de l’unicité des pièces. C’est là que j’ai compris que mon avenir était à Paris.
Comment s’est passée cette installation dans la capitale ?
Jérôme Blin : J’ai redémarré à zéro. J’ai eu la chance de rencontrer des investisseurs qui ont cru en moi. Cela m’a permis de produire ce premier défilé et de structurer mon entreprise. Depuis trois ans, tout va très vite : collaborations, projets internationaux, rencontres décisives.
Vous parlez souvent des artisans avec lesquels vous collaborez. Pourquoi cette importance ?
Jérôme Blin : Parce que je me sens plus proche des artisans que du « monde de la mode » au sens classique. J’aime travailler avec mes mains, réfléchir à la matière. Dans ma démarche, je collabore avec des verriers, des brodeurs, des céramistes. Pour mon dernier défilé, j’ai invité une vingtaine d’artisans à exposer leur travail aux côtés des vêtements. Je voulais que les invités rencontrent ces talents. Contrairement à certaines maisons qui cachent leurs artisans, moi je les mets en lumière.

Votre signature, c’est ce travail de matières inattendues comme la colle…
Jérôme Blin : Oui, ce matériau m’accompagne depuis mes débuts. C’est rigide, contraignant, mais j’aime ce défi : transformer une matière brute en dentelle délicate. C’est devenu une sorte de fil rouge dans mes collections.
Vous venez de réaliser la robe de mariée de Sonia Rolland. Que représente cette création ?
Jérôme Blin : C’est une étape importante. Des centaines d’heures de travail, de la dentelle française entièrement incrustée à la main. J’ai eu la chance d’être entouré d’artisans talentueux pour ce projet, comme la brodeuse Zoé Pignolet à Lyon. Cette robe est l’illustration de ma démarche : artisanat, exigence et émotion.
Quelles sont vos prochaines étapes ?
Jérôme Blin : Je pars présenter mes créations en Corée du Sud, à Pusan puis à Séoul. C’est une ouverture internationale majeure. Je prépare aussi un projet de boutique à Paris, pensée comme un lieu hybride, entre atelier et galerie. J’aimerais y accueillir régulièrement des artistes et créer des dialogues entre leurs univers et mes vêtements.
Avec ce parcours atypique, comment vous définissez-vous aujourd’hui ?
Jérôme Blin : Je ne me considère pas comme un « homme de mode » au sens classique. Je fabrique des vêtements comme un artisan fabrique un objet. La couture est mon langage, celui qui me permet d’exprimer des idées, de dialoguer avec d’autres créateurs. Ce premier défilé à Paris marque une étape, mais l’aventure ne fait que commencer.
